Le deuil et la lecture

Beaucoup d’endeuillés s’interrogent sur la « normalité » de ce qu’ils vivent, ont presque peur de basculer dans la folie ( ne dit-on pas «  devenir fou de douleur » ?), se sentent isolés, enfermés solitairement dans leur souffrance..

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Pourquoi proposer quelques livres sur le deuil ?

Les livres n’effacent pas la peine, le chagrin, la perte, ceci est une évidence. Mais ils peuvent être des repères, des compères, dans les temps les plus difficiles…là où l’on peut être à court de mots, de pensées, d’autres ont su tremper leur plume dans leurs déchirures et confier leur retour à la vie.

Trois livres sur la mort et le deuil

TROIS LIVRES  parmi la multitude écrite sur la mort et le deuil me semblent toujours pertinents..

christophe-faureJe conseille toujours aux endeuillés d’avoir sous la main le livre du psychiatre Christophe Fauré : «  Vivre le deuil au jour le jour », ou pour les endeuillés après suicide : «  Après le suicide d’un proche » (Albin Michel). Le Dr Fauré écrit de façon très claire, sans aucun jargon psy, la traversée des émotions du deuil. A l’aide d’exemples, il explique ce chemin du deuil et l’accompagnement possible.

On sent son humanité mise au service de ceux qui sont confrontés à la douleur du deuil, et ses mots, rassurants, dé-culpabilisants, sont comme des bras tendus, sur lesquels on peut s’appuyer. Certains me disent, après l’avoir acheté, qu’ils n’ont pu l’ouvrir mais le gardent soigneusement pour le jour où l’envie sera là… D’autres le picorent pendant des mois, au gré de leurs émotions, pour aller vérifier que « cela est normal ». D’autres encore le lisent en une nuit, souvent dans les larmes, mais soulagés de se sentir reconnus dans leur souffrance.

«  Je ne suis en aucune façon préparé à faire face à ce qui est en train de se passer aujourd’hui dans ma vie…Tout ce que notre éducation nous a transmis devient caduc et inopérant face à la nécessité de « gérer » une perte majeure »…. Christophe Fauré, sans donner de recettes , aussi inutiles qu’irrespectueuses, relève tous les présupposés sur le deuil et indique des voies possibles vers un retour à la vie. C’est un livre très complet, donc profondément utile aux endeuillés. Mais il s’adresse en même temps à leur entourage, souvent démuni dans les mots, les actions à dire et à faire, ils y trouveront aussi une aide précieuse.

J’ai lu à peu prés tout ce qui paraît ces dix dernières années sur le deuil : de nombreux témoignages sont touchants, émouvants, et peuvent bien sûr permettre aux personnes endeuillées de se reconnaitre en eux. Mais on sent qu’ils sont d’abord écrit pour permettre à l’auteur en deuil de déverser son trop plein de chagrin, et la qualité de l’écriture est parfois reléguée par l’urgence de la tâche.

Deux livres qui s’adresse réellement au lecteur endeuillé

Ce n’est pas le cas de ces deux livres , où l’écriture se fait aussi littérature pour élargir l’histoire personnelle , et ainsi y inclure véritablement le lecteur :

Brigitte Barbier vient de faire paraître «  Là où tu es Je ne suis pas » ( L’Harmattan). Elle y raconte la maladie de son fils Martin, de la première annonce, terrible, couperet dans la trame familiale jusqu’à son travail de deuil. L’écriture s’est faite sur plusieurs années dans le train de banlieue qui l’emmenait dans le monde, au milieu du monde, et pourtant seule…peut être ce temps d’écriture long lui a permis de ciseler son verbe plus que d’autres, mais elle traduit admirablement dans le rythme même de sa prose le sentiment d’urgence qu’impose les décisions médicales, et la lenteur de ce train de banlieue où s’écoule le temps sans Martin. Tout sonne juste. Et l’on passe du rire aux larmes, de l’espoir à la colère, des souvenirs à la vie à vivre.

« Je dois mesurer le trésor de la vie car je sais que je la perdrai, comme toi. C’est un exercice très difficile, je fais le grand écart entre la vie que je suis obligée d’accepter comme un trésor et ta mort qui est ce lieu où tu es, où je ne suis pas. Comment une maman peut être là où son fils n’est plus ? Comment je peux accepter que tu aies vécu la mort, que tu sois passé par là alors que je n’en suis qu’à la vie ? » .

« Je m’efforce d’être patiente. Je crois trouver un peu de cet infini, mais non. Si je te lâche, c’est parfois mieux, parfois pire. Je dois flotter, voler, m’étirer jusqu’à toi sans jamais toucher ta joue. Exercice fatiguant, que je pratique volontiers mais cette tristesse immense, au-delà des jours passés sans toi , m’entrave et m’alourdit. Passé le temps de l’ouragan dévastateur, le silence se fait et mon chagrin s’ancre, profondément. Silence pour mieux entendre ta voix, silence de ton corps sans vie, silence sous la terre. Silence enveloppant comme une brume matinale, silence du nuage qui te ressemble. »

Les pères, les grands oubliés du deuil

Et c’est l’histoire d’un autre Martin que je vous recommande aussi : «  Martin cet été » de Bernard Chambaz (livre de poche)

J’aime qu’il soit écrit par un homme, un père. Car les hommes, les pères, sont les grands oubliés dans le deuil. Souvent ils s’entendent dire  » prends soin de ta femme  » : les attentions, les paroles vont plus naturellement vers la mère, comme si le seul rôle de l’homme serait de soutenir sa compagne. Comme si le deuil des mères était plus intense , plus «  vrai » que celui des pères. Combien d’hommes ne s’autorisent ni les larmes, ni les paroles avec leur entourage ? Combien vont toquer à la porte d’une association ou d’un psy, si la douleur devient trop infernale ?

Alors les mots de ce père , qui raconte son premier été sans son fils, Martin, tué dans un accident, sont précieux pour tous, hommes et femmes atteints par la violence d’un deuil traumatique, et pour nous tous, humains, qui avons à les accompagner.

Témoignage d’un deuil traumatique

« Imaginons, tant que l’on peut imaginer. Mais l’accident, décidément, rien à faire. Il est ce qui survient, par hasard, ce qui nous échoit (dans le sens d’une chute, ce qui nous tombe sur la tête comme les cieux des Gaulois). Le ciel est clair, incrusté de petits nuages mauves qui se dépêchent vers les Costwolds…Que dire d’autre ?
Sur la route d’Usk à Tredunnoc, une voiture aborde une courbe (ce n’est même pas un virage). James Niklasson tient le volant. ..Martin a pris place sur le siège arrière, derrière Gareth, à côté de deux jeunes filles … Il a casé tant bien que mal ses longues jambes et bouclé sa ceinture de sécurité. De quoi parlent-ils ? De musique, de baffles et de vibrato ? De leur dernière partie de tennis ? Du film « Batman, le retour », qu’ils vont voir maintenant ? Que regarde-t-il, lui, Martin, à cet instant, par les vitres de la voiture ? Sur quoi se posent ses yeux (qu’il avait si beaux) pour finir ? ..le destin au bout de deux ou trois tonneaux. Voilà. C’est fini. Cette fois, il n’y a rien à ajouter. C’est fini, c’est affreux. Et c’est déjà parfaitement incroyable. » 

« Un récit que l’on sait « vrai », vécu par son auteur et revendiqué en tant que tel, nous paraît moins supportable qu’une fiction qui dirait pourtant la même chose. » (Claire Aubert).

Ateliers d’écriture

Je ne peux donc que recommander aux endeuillés d’aller trouver les livres, les pensées, les poèmes, les musiques qui touchent leur coeur et qui apaisent, ne serait-ce que momentanément, leur peine..Tous les actes,aussi petits semblent-ils, qui amènent de la douceur, de la compréhension, de l’aide sont autant d’avançées sur ce chemin chaotique et bouleversant du deuil.

Mais ces livres nous disent aussi que l’écriture, la créativité, peuvent, pour beaucoup, se révèler utiles à eux mêmes et à leurs « frères et soeurs de chagrin ». Ainsi l’Association Vivre Son Deuil d’Ile de France organise des ateliers d’écriture pour les endeuillés, c’est peut être une idée à essaimer….